"Nous devons finir le travail" : extraits de la session de Q&A de Jerome Powell
Hier soir, Jerome Powell a tenu une conférence de presse à l’issue de la réunion du FOMC (Federal Open Market Committee). Bien qu’aucun changement de cap ni nouvelles mesures n’aient été annoncés, nous estimons que les mots utilisés par Jerome Powell étaient particulièrement intéressants dans un contexte de montée des anticipations d’inflation, de pentification de la courbe des taux et du débat en cours sur l’existence d’une bulle sur le prix des actifs financiers.
Message n°1 : le soutien de la politique monétaire restera fort et axé sur les risques à la baisse
Le président de l’institution monétaire américaine a affirmé hier que la fonction de réaction de la Fed dans ce contexte resterait asymétrique. C'est-à-dire qu'elle réagit davantage aux nouvelles économiques négatives et aux pandémies qu'aux nouvelles positives. La raison en est simple : l'économie américaine compte encore 9 millions de chômeurs, ce qui est supérieur au chiffre enregistré pendant la crise financière mondiale de 2008. Jerome Powell a insisté sur le fait que le principal risque aujourd'hui n'est pas une hausse de l'inflation, mais un calibrage insuffisant des politiques économiques ou un échec dans la gestion de la pandémie.
Par conséquent, la Fed continuera à soutenir l'économie américaine jusqu'à ce qu'elle atteigne le plein emploi. Le président Powell a répété à plusieurs reprises que "nous devons finir le travail" : sortir de la pandémie et ramener l'économie à un niveau de fonctionnement normal où les gens retrouveront leur emploi.
Message n°2 : ne pas trop réagir aux chiffres et aux attentes d'inflation à court terme
C'était probablement le message le plus important hier lors du débat sur la hausse de l'inflation : pour la Fed, les craintes sur l'inflation sont exagérées. Cette dernière admet ce que nous savons depuis plusieurs mois : nous allons avoir une hausse à court terme du taux d'inflation en raison d'effets de base au deuxième trimestre, et la Fed s’abstiendra de toute réaction. Cela a été anticipé et communiqué à Jackson Hole en août 2020, lorsque la politique d’inflation cible moyenne a été adoptée.
Fondamentalement, la Fed ne pense pas que la récente et notoire augmentation des salaires se traduira par un régime d'inflation plus soutenu. Jerome Powell a insisté à plusieurs reprises sur le fait que les forces déflationnistes étaient structurelles et fortes, et que l'économie fonctionne avec un taux d'inflation inférieur ou proche de 2% depuis deux décennies. Il est donc "prématuré" de parler de réduction des achats d’actifs et de normalisation de la politique monétaire.
Message n°3 : la Fed peut faire plus
Interrogé sur la manière dont la boîte à outils de la Fed pourrait être ajustée en cas de mauvaises surprises, Jerome Powell a mentionné que l’institution pourrait en faire davantage en particulier sur les achats d'actifs. Cela répond à la question de savoir si la réserve fédérale manquait de munitions.
Message n°4 : ne pas blâmer la Fed (concernant les bulles spéculatives)
"Ce n’est pas mon travail" : voici des mots que Jerome Powell n'a pas prononcés, mais que nous avons entendus. La Fed étudie avec attention l’évolution des prix des actifs financiers, mais considère qu'il n'est pas de sa responsabilité de faire monter les prix des actifs et/ou de les refroidir dans ce qu'il n'a pas soigneusement décrit comme une bulle... Il est même allé jusqu’à affirmer que le contexte de taux bas n'était pas la cause de l'accélération des marchés actions, mais plutôt des anticipations positives sur le vaccin et le plan de relance.
De plus, lorsqu'il a été interrogé sur les effets de la politique de taux bas sur les prix de l'immobilier, il a simplement mentionné qu'elle reflétait le fait que le marché immobilier fonctionnait à nouveau et que les prix étaient probablement un "phénomène passager" influencé par une demande temporairement soutenue par des ménages désirant des logements plus grands ou différents. Il s'agit peut-être d'une caractéristique commune à la Banque centrale européenne et à la Fed : le déni des effets de la politique monétaire sur les prix des actifs.
Message n°5 : des spreads plus serrés créent plus d'effets positifs qu'une prise de risque excessive
En dépit de la réponse donnée sur les bulles spéculatives, la question est revenue sur les marchés de la dette des entreprises et le risque que la politique de la Fed contribue à une prise de risque excessive et à des effets d’aubaine de la part des investisseurs.
La réponse a été simple : "les emprunteurs empruntent, les prêteurs prêtent, et cela permet aux entreprises de continuer à fonctionner et de conserver les emplois". Dans l'état actuel de l'économie, la Fed reste concentrée sur le bon fonctionnement des circuits de financement afin de limiter les risques de liquidité et de refinancement, ce qui contribue à limiter la hausse des défauts de paiement à un niveau inférieur à celui prévu par l’institution.
Message n° 6 : le système financier et bancaire est solide et bien capitalisé
Jerome Powell a rassuré les journalistes sur le fait que le système bancaire était bien capitalisé, qu'il avait considérablement provisionné les risques. Toutefois, il a mentionné que la Fed n'a pas pris de décision sur la suppression des restrictions bancaires sur la distribution de capital aux actionnaires (par le biais de dividendes et de rachats d’actions).
Message n°7 : la question est la pandémie, pas le stimulus
M. Powell a insisté sur le fait que le problème clé de l'économie en ce moment n'était pas tant la relance budgétaire, mais la longueur et l'ampleur de la pandémie qui détermine si certaines activités peuvent redémarrer ou non. L'exemple qu'il a mentionné était limpide: les mesures de relance budgétaire ne rouvrent pas les bars et les restaurants, elles aident simplement à faire face aux conséquences économiques infligées par les restrictions. "Il n'y a rien de plus important pour l'économie aujourd'hui que le bon et prompt déroulement de la vaccination".
Message n° 8 : les inégalités économiques raciales sont importantes pour la Fed
Ce n'est pas nouveau et ce message a déjà été délivré l'année dernière lorsque Jerome Powell a mentionné que "la Réserve fédérale est au service de la nation tout entière". Hier soir, il l’a répété à travers de nombreux critères illustrant des inégalités constatées en termes d'accès au logement, à l'éducation et à l'emploi. C'est dans ce dernier cas que cette situation rejoint le mandat de la Fed, qui est d'assurer le plein emploi : "nous ne sommes pas au maximum de l'emploi si des pans de la population sont sans emploi". Il reste à voir si une politique accommodante prolongée, destinée à relancer le marché du travail, contribue à réduire les inégalités raciales largement structurelles. Mais le fait d’affirmer que "les disparités raciales sont un frein à l'économie" renforce le message général selon lequel la politique accommodante est là pour durer.
Message n°9 : nous entrons dans une nouvelle économie
La reprise complète de l'emploi aux États-Unis reste cependant en suspens : plus la pandémie dure, plus les entreprises adaptent leur fonctionnement, investissent dans la transformation numérique et modifient leur mode d’organisation. "Nous entrons dans une nouvelle économie", les emplois de demain ne seront peut-être pas les mêmes et cette crise a accéléré le passage au numérique pour de nombreuses entreprises. "La technologie peut remplacer les personnes encore plus que nous le pensions".
Implications pour les marchés
Le point positif de la conférence est que la Fed a réaffirmé sa position accommodante et a tenté de dissiper les craintes d'une hausse inattendue de l'inflation. En rejetant la responsabilité de la politique monétaire actuelle sur la formation des prix des actifs, il a donné aux investisseurs le signal que la fête pouvait continuer.
Néanmoins, le fait d’insister sur les risques à court terme impliquant que l’issue de la crise dépend de la vaccination et non du policy-mix, a également pu être perçu comme un signal d'alarme et un appel de retour à la réalité concrète : "les perspectives restent très incertaines". Cela peut expliquer pourquoi cette conférence n'a pas mis fin à la journée négative à Wall Street. Il suffit parfois de quelques mots prudents pour calmer des marchés déjà très perturbés hier par des débouclements massifs de positions malgré des résultats trimestriels très positifs dans le secteur technologique.
28 janvier 2021