Immobilier US : vers un atterrissage brutal ou en douceur ?
La Réserve fédérale (Fed) de Dallas l'a souligné la semaine dernière, le marché immobilier américain montre des signes de "formation d'une bulle". Les prix des maisons sont 20% plus élevés qu'à la même période en 2021. Le faible niveau des stocks de logements - lié en partie aux pénuries dues à la pandémie devrait maintenir la pression sur les prix en 2022. Toutefois, la Fed s'inquiète que l'évolution des prix soit désormais détachée des fondamentaux. La flambée actuelle des taux hypothécaires pèsera sur le comportement des consommateurs américains déjà mis à rude épreuve mais elle s’avère bienvenue pour freiner la demande de logements.
Les prix de l'immobilier américain sont en plein essor
Selon l'indice S&P Case Shiller, les prix des logements américains ont augmenté de 19,2% en janvier sur une base annuelle (+1,6% sur une base mensuelle), les prix dans 12 des 20 villes suivies enregistrant une croissance à deux chiffres. Même si le taux de croissance de ces prix semble se modérer progressivement depuis août 2021, ils restent à des taux historiquement élevés (voir graphique 1).
Graphique 1 : prix des logements aux Etats-Unis - Indice S&P Case Shiller, en glissement annuel, %
Sources : S&P Case Shiller, Indosuez Wealth Management
Le retard de l'offre de logements est un facteur de soutien des prix
L'offre sur le marché du logement américain est tendue depuis des années, notamment en raison de pénuries structurelles dans l'offre d'entrée de gamme (voir Perspectives mondiales 2022 - Le logement américain n'est pas à l'abri des prix élevés). En outre, ces déséquilibres ont pu être affectés par la pandémie. Les perturbations de la chaîne d'approvisionnement ont ralenti la construction et l'achèvement des logements, tandis que la flambée actuelle des coûts des intrants (notamment le bois et l'acier) a également pesé sur le climat de la construction. Les pénuries de main-d'œuvre se sont toutefois résorbées si bien que le nombre d'employés dans le secteur de la construction a retrouvé son niveau d'avant la pandémie.
La faiblesse de l'offre face à la hausse de la demande s'est traduite par un appauvrissement des stocks de logements – un paramètre clé à surveiller. Selon la National Association of Realtors, le nombre de logements existants invendus a atteint des niveaux historiquement bas, avec environ 870 000 maisons actuellement en vente aux États-Unis, contre 2 millions avant la crise. En février 2022, 84% des maisons vendues étaient sur le marché depuis moins d'un mois. Les permis de construire sont en hausse de 10% sur l'année et de 30% par rapport à 2020, mais ils n'ont jamais retrouvé les niveaux de 2007 (voir graphique 2). Les achèvements de construction de logements continuent d'être en retard sur les mises en chantier.
Nous considérons qu’à l'avenir l'offre de logements continuera de maintenir la pression sur les prix, mais cependant qu’elle n'explique pas la hausse exponentielle des prix, surtout au regard de la baisse attendue de la demande en 2022.
Graphique 2 : construction de logements aux Etats-Unis
Sources : US Census, Indosuez Wealth Management
La hausse des taux hypothécaires va freiner la demande
Les taux hypothécaires américains sont orientés à la hausse depuis le début de l'année 2021, augmentant rapidement à partir de janvier 2022, les prêteurs anticipant les prochaines hausses de taux de la Fed (voir graphique 3). Le taux d'intérêt fixe des prêts hypothécaires américains à 30 ans atteint 4,67% (en hausse de 156 points de base depuis le 31.12.2021), son plus haut niveau depuis décembre 2018. L'écart par rapport au taux du Trésor américain à 30 ans est également nettement plus important (230 points de base contre 184 en février 2019). Ces taux sont plus élevés que ce que les experts immobiliers avaient prévu (projection des taux d'intérêt moyens annuels de Freddie Mac 2022 : 3,6%). Dans ce contexte, la demande de taux révisables (ARM) est à nouveau en hausse (+26% versus 2021) puisqu'un taux 5/1 (taux initial fixé pour cinq ans) affiche aujourd'hui un niveau de 3,5%.
Graphique 3 : taux hypothécaire fixe à 30 ans, taux des bons du trésor à 30 ans et niveaux Fed funds aux Etats-Unis, %
Sources : Refinitiv, Freddie Mac, Indosuez Wealth Management
Historiquement - depuis le milieu des années 1980 - une hausse aussi brutale des taux hypothécaires fixes (>100 points de base) s'est rarement produite (voir tableau 1). La hausse des taux a systématiquement entraîné une baisse de la demande, mais n'a pas eu de répercussion directe sur l'ensemble des prix dans les six mois qui l’ont suivi. Les taux d'intérêt sont poussés à la hausse lorsque l'économie est en surchauffe (en d'autres termes, lorsqu'elle se porte bien). Cela a un impact sur la demande de logements qui, à son tour, ralentit la dynamique rapide des prix. Toutefois, historiquement, il s’avère que les prix n'ont pas chuté et sont plus sensibles aux ralentissements économiques ou aux politiques de prêt restrictives. Néanmoins, la comparaison de la tendance des prix du logement avec la hausse des taux hypothécaires dans les cycles passés pourrait être impactée par le niveau des rendements au début du cycle économique. Ainsi, les prix pourraient être plus vulnérables aujourd'hui après la compression des rendements sur plusieurs décennies.
Tableau 1 : retracer l'impact des hausses de taux hypothécaires
Augmentation durant 3 mois du taux hypothécaire fixe à 30 ans (points de bases) | Nombre de mois avant baisse de la demande | Baisse globale de la demande de logements 6 mois après le choc des taux | Évolution des prix des logements 6 mois après | |
Printemps 1987 | 140 | 3 mois | -11% | +4% |
Printemps 1994 | 107 | 1 mois | -9% | +1% |
Automne 2003 | 108 | 1 mois | -1% | +6% |
Eté 2013 | 106 | 2 mois | -4% | +5% |
Sources : Refinitiv, S&P Case-Shiller, Indosuez Wealth Management
En effet, les États-Unis commencent déjà à observer un impact sur la demande de logements :
- L'indice d'accessibilité a chuté de 4 points de pourcentage en janvier (principalement dans le nord-est et l'ouest des États-Unis).
- Les ventes de logements existants ont chuté de 7% aux États-Unis sur une base mensuelle en février (à 6,02 millions, en dessous des prévisions du marché à 6,1 millions) et les ventes de logements neufs ont chuté de 2%.
- L'indice NAHB (National Association of Home Builders) du logement qui étudie les conditions de vente des maisons individuelles a baissé de 5 points entre décembre 2021 et mars 2022, principalement en raison d'une chute de 15 points de la composante " attentes dans les 6 prochains mois " de l'indice, la composante " quantité actuelle d’acheteurs potentiels " n'ayant baissé que de 4 points.
- L'indice BH&J Buy versus Rent indique qu'il est aujourd'hui plus intéressant de louer que d'acheter aux États- Unis, malgré la hausse du prix des loyers (voir section suivante).
Prudence - les prix des logements se détachent des fondamentaux
La hausse des taux hypothécaires refroidit la demande de logements américains, mais rien n'indique historiquement qu'elle pèsera sur leurs prix dans le contexte actuel.
Les facteurs liés à l'offre peuvent expliquer une partie de la hausse des prix des logements, mais la Fed de Dallas souligne qu'une partie de la tendance du marché ne peut être expliquée par les fondamentaux.
Le graphique de la Fed ci-dessous (graphique 4) démontre que la valeur théorique du logement basée sur la somme des loyers futurs actualisés (le ratio logement/loyer) 1 n'explique pas la hausse actuelle des prix. Et ce, malgré une forte hausse des loyers, due en partie à la fin de la période de moratoire sur les loyers liée à la COVID-19. Selon l'indice CoreLogic des loyers des maisons individuelles, les loyers ont augmenté de 12,6% en glissement annuel en janvier 2021, Miami arrivant en tête avec une augmentation de 40%.
Une hausse rapide de la valeur des logements n'est pas nécessairement le signe d'une bulle, mais le contrôleur de la Fed de Dallas a averti que la hausse actuelle des prix est en décalage avec les fondamentaux du marché depuis le troisième trimestre 20212. Cette situation ne concerne pas seulement les États-Unis, car la Fed a établi ce même constat dans un certain nombre de pays. Les hausses mondiales reflètent en partie la réponse pandémique des gouvernements et des banques centrales, qui ont stimulé les revenus et abaissé les coûts d'emprunt par le biais de transferts fiscaux et d'une politique monétaire accommodante. À mesure que ces effets s'atténuent, la hausse des prix devrait également s'atténuer.
Toutefois, l'accroissement marqué de la présence des investisseurs sur le marché immobilier américain peut également expliquer ce phénomène de prix. Selon les données du marché immobilier de Redfin, les investisseurs ont acheté un niveau record de 18,4% de logements américains au quatrième trimestre 2021, les logements à prix moyen et bas représentant 69% des achats des investisseurs.
Graphique 4 : ratio prix/loyer de la Fed : réel versus basé sur les fondamentaux
Sources : Dallas Fed, Indosuez Wealth Management
2022 n'est pas 2008
Les ménages américains sont en bien meilleure posture aujourd'hui qu'à l'aube de la crise financière de 2008. Les banques ont été plus prudentes dans leurs attributions de prêts et la dette des ménages est plus faible (65% du PIB) qu'en 2008 (85%, voir graphique 5). La proportion de propriétaires américains ayant souscrit des prêts hypothécaires à taux d'intérêt révisables - un facteur de vulnérabilité clé pendant la crise de 2008 - est également tombée à moins de 10% de la population (contre environ 35% en 2008). Le taux d'épargne des ménages est également plus élevé (à 6% contre 4% en 2008).
Néanmoins, les consommateurs sont confrontés à d'autres défis :
- une croissance négative des salaires réels : l'inflation des prix à la consommation ayant augmenté de 7,9% en février, contre une croissance des salaires de 5% ;
- les primo-accédants (représentant 29% des ventes en février 2022), doivent faire face au double défi de la hausse des taux et de celle des prix des logements (+19% en janvier, voir graphique 5) ;
- le paiement hypothécaire médian demandé aux acquéreurs a augmenté de 20% en février 2022 par rapport à la même période en 2021 (Mortgage Bankers Association) ;
- le coussin d'épargne accumulé pendant la pandémie s'est dissipé et le taux d'épargne est désormais conforme à sa moyenne d'avant la crise (6%).
En résumé, nous ne sommes pas en 2008. Un atterrissage brutal n'est pas à l'ordre du jour car les situations des consommateurs ne sont pas les mêmes (les emprunts excessifs ne sont pas à l'origine de la hausse des prix), la vulnérabilité des consommateurs aux taux hypothécaires variables est nettement plus faible, l'offre de logements est historiquement basse. Toutefois, un atterrissage en douceur ne peut être exclu à court terme car les taux hypothécaires sont en forte hausse et les consommateurs sont soumis à une pression très importante. Le rôle des investisseurs sur le marché du logement et l'offre sur les segments inférieurs et moyens sont des facteurs à surveiller.
Graphique 5 : dette des ménages américains, % du PIB
Sources : New York Fed, Indosuez Wealth Management
1- En fonction d'un ensemble de variables (revenu disponible, loyers des logements, taux à long terme).2- Réserve fédérale de Dallas, rapport sur les prix des logements américains du 29 mars 2022. Ce moniteur suit l'exubérance", c'est-à-dire lorsque les prix augmentent à un rythme exponentiel qui ne peut être justifié par les fondamentaux économiques. Lorsque l'indicateur est supérieur au seuil de confiance de 95%, il est considéré comme significatif, la mesure est actuellement à 115%.
06 avril 2022